La guerre, réflexions et images fortes d'artistes
Comment représenter l'innommable ? Pourquoi même désirer le représenter ?
Cet article n'a pas vocation à être exhaustif ou encyclopédique, j'ai simplement rassemblé des œuvres fortes à mes yeux
pour illustrer 4 des effets ravageurs qui, dans mon esprit, sont parmi les traumatismes de la guerre.
Ici je fais mienne cette pensée de Félix Vallotton qui s'était porté volontaire en 1917 à l'appel du secrétariat aux beaux-Arts et du ministère des Armées pour se rendre sur le "terrain" :
La représentation de la guerre ne peut résulter que de la méditation et l'idée de la guerre est une idée intérieure.
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Confusion & Rage
J'ai la chance comme beaucoup d'entre nous de ne pas avoir connu la guerre dans ma chair.
Néanmoins depuis toute petite je me suis toujours demandé comment j'agirais, quelle personne je serais dans ce contexte terrifiant.
Étant lorraine, j'ai beaucoup entendu mon grand-père paternel raconter ses 2 guerres mondiales.
Il avait de fréquentes reminiscences de cette période, et j'avoue que j'étais passionnée par ses récits ;
pourtant j'étais souvent effrayée de ressentir la violence qui restait présente dans ses propos et dans les images qu'il me transmettait.
On peut dire qu'alors mon imagination battait la campagne.
J'ai aussi beaucoup lu et je sais par procuration le bordel, la rage, la confusion, le vacarme, les odeurs, la pestilence, l'état second, la dépossession de soi.
Les œuvres d'Otto Dix
sont à mes yeux parmi les plus fortes.
Engagé volontaire pendant la première guerre mondiale, il en revient traumatisé et entreprend de dénoncer les horreurs de la guerre.
Sans surprise, son art sera déclaré dégénéré par les nazis, retiré des musées et parfois même détruit.
Je trouve ses œuvres -gravures ou peintures- particulièrement vivantes et crues ;
ses représentations sont à des siècles et des lieux du mythe de l'héroïsme.
Le monumental triptyque La Guerre
présenté une seule fois dans une exposition à Berlin en 1938 ; il est ensuite interdit par les autorités nazies.
Il est inspiré des retables et aujourd'hui exposé à la Galerie Neue Meister - Dresde
Bataillon d'assaut sous les gaz
En 1924, cette gravure choque l'opinion publique allemande, puisque l'artiste dénonce la férocité destructrice
en représentant non pas des ennemis mais des soldats allemands.
La guerre d'Henri Rousseau
Ce tableau du Douanier décrit lui-aussi la rage en représentant la guerre telle une femme enfant grimaçante avec sa torche fumante et son épée,
chevauchant un amas de corps dépouillés de tout.
Au salon des indépendants de 1894 cette œuvre est critiquée pour son aspect maladroit ou admirée pour son indépendance de style.
Quant à moi elle me dérange un peu sans que je sache exactement pourquoi.
La Peur
Ce n'est pas la peur que nous connaissons au quotidien, ces petites peurs qui nous font chavirer et nous donnent des palpitations.
Ici c'est la peur vicérale, la terreur, l'effroi, l'épouvante, la pétoche, la panique...
Et je pense que pris dans l'étau de la guerre, la peur on la ressent non-stop, jusqu'à l'épuisement.
Lens est bombardée
Gravure d'Otto Dix, faisant partie de son recueil Der Krieg ; où l'on voit des civils -vieille femme, mère et enfants- fuyant, terrorisés, le bombardement de leur ville.
Des corps jonchent déjà le sol.
Comme je le dis plus bas à propos de l'œuvre de Chagall, la souffrance et la peur n'est pas uniquement du côté des combattants.
El Tres de Mayo
Ce tableau de Francisco De Goya illustre l'exécution de 43 patriotes espagnols, fusillés par les soldats français à Madrid le 3 mai 1808, pendant la nuit.
Ils sont fusillés en représailles d'une révolte qui a lieu le 2 mai à Madrid.
Là aussi la peur est palpable, inéluctable.
La Guerre de Marc Chagall
Quel contraste étonnant entre le sourire du personnage masculin et les yeux agrandis d'horreur de cette femme serrant fort son bébé !
Je trouve intéressant ce dessin à l'encre. Dans mes recherches j'ai souvent vu les combattants, le front, les soldats représentés.
C'est inestimable de montrer ainsi femmes et enfants et bien sûr ça fait pour moi écho avec le peuple urkrainien aujourd'hui.
En détaillant cette œuvre je pense que Chagall s'est représenté lui-même avec ses pinceaux et sa palette pour peindre cette femme et son enfant.
Il sourit peut-être pour la rassurer, mais dans ce contexte son sourire m'apparaît déplacé, effrayant.
La Destruction
La guerre ne tue pas seulement les humains et les animaux, elle détruit tout sur son passage :
arbres, récoltes, architectures nouvelles ou héritées du passé, maisons, usines ;
elle empoisonne les rivières et les terres et détruit les réserves d'eau potable.
De nombreuses années après les conflits des obus explosent encore, tuant encore, détruisant encore.
Paysage de ruines et d'incendie
Dans ce tableau de Félix Vallotton, on peut sentir la fournaise, on peut aussi imaginer la désolation quand le feu sera éteint.
Oppy Wood
Oppy est un petit village dans le Pas de Calais.
John Nash -qui faisait partie des Artists’ Rifles, régiment londonien d’artistes volontaires-
illustre lui aussi la destruction du paysage avec ses lignes presque cubiques, ses arbres brisés.
Ce sont 2 peintures très colorées, sûrement pas un hasard.
Quelle Absurdité !
Depuis six mille ans la guerre plaît aux peuples querelleurs, et Dieu perd son temps à faire les étoiles et les fleurs.
Victor Hugo
Au fil de l'histoire, et souvent après coup, il est clair que toutes les prétendues justifications de la guerre ne sont qu’absurdités et faux prétextes.
Gueule cassée
Cette œuvre d'Otto Dix fait partie de son portfolio Der Krieg, cinquante gravures, eaux-fortes, aquatintes et pointes sèches.
Publié à Berlin en 1924 par Karl Nierendorf.
Vous pouvez découvrir l'intégralité de ce bouleversant travail sur le site de la MOMA
Des harpies dans le berceau
Ce collage fait partie de ma série Humanité commencée en 2017, c'en est même le premier tableau.
Au départ mon propos fut d'exprimer ce qu'on pourrait appeler la malédiction humaine, le début de tout.
Avec ce qu'il se passe aujourd'hui, en regardant ce tableau, je me dis qu'il illustre bien lui aussi l'absurdité.
Réaction de femmes face à la guerre.
La couverture de cet article
Un seul meurtre fait un scélérat, des milliers de meurtres font un héros.
Érasme
J'aime beaucoup Félix Vallotton (je l'ai déjà dit ici ou là) et j'aime particulièrement l'histoire de cette carte postale colorisée
puisqu'il l'a créée pour La pochette de la Paix éditée par le Comité d'Entente Internationale pour le Désarmement Universel en 1907.
La guerre est HÉLAS un sujet inépuisable
J'aurais pu aussi parler de :
- l'extraordinaire travail de Jacques Tardi sur la guerre de 14-18.
Je vous invite à lire cet article de l'Humanité qui lui donne la parole autour de sa BD Putain de guerre. - L'artiste Marc Nelson qui consacre depuis 2016 ses œuvres au conflit syrien.
Il dessine des portraits d'un ami syrien, porté disparu parce qu'opposant au régime d'Assad.
Une citation d'Anselm Kiefer
Je pense que les êtres humains ont un défaut de fabrication. Il y a forcément quelque chose qui cloche, vu que nos conflits se perpétuent indéfiniment.
Et en conclusion La Paix de Picasso tableau peint en 1952
Où voir ces œuvres ?
- Le triptyque Guerre d'Otto Dix à la Galerie Neue Meister
- Les gravures d'Otto Dix en ligne sur MOMA
- La guerre de Rousseau au Musée d'Orsay
- El Tres de Mayo de Goya au Musée du Prado
- La guerre de Chagall au Centre Pompidou
- Les œuvres de Vallotton sont "traçables" grâce à la Fondation FÉLIX VALLOTTON
- Les tableaux de John Nash sont certainement dans l'un des musées de l'Imperial War Museum - au Royaume-Uni
- La Paix de Pablo Picasso est au Musée National Pablo Picasso à Vallauris